Les Croyances secrètes qui nous empêchent de réussir

Le Jour où j'ai tué l'anxiété

Gagnant : Prix littéraire du Salon du livre - Saguenay-Lac-St-Jean 2017

Après quarante années d'une vie hantée par l'anxiété, l'angoisse, la panique et la dépression, une solution s'impose: en finir une fois pour toutes. 1990. Mort de l'âme, suicide presque réussi suivi cinq mois plus tard d'un infarctus majeur qui laisse un tout petit 5% de chances de survie. Vivre ou mourir? Un tueur intérieur qui m'a toujours poussée vers la mort et qui m'habite du plus loin que je me souvienne a maintenant le champ libre. Je hais ce tueur, cet assassin, qui m'a fait la vie si dure. L'unique petite motivation qui me donne l'envie de me battre encore est le mince espoir de le détruire un jour, de le tuer à mon tour. S'ensuivent vingt-cinq ans d'une enquête et d'une traque incessante pour tenter de cerner et de neutraliser ce tortionnaire; des années de reconstruction, d'études, de recherches, de découvertes et d'écriture pour, à la fin, le voir enfin en face...

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Les 2 premiers chapitres

Poursuivie par un tueur silencieux, je cours dans une ruelle, mon cœur battant à tout rompre, mes tympans résonnant de ses pas, la panique plein la tête. Je suis seule avec lui et je sais que personne ne peut me venir en aide. J’essaie de fuir, de lui échapper, de trouver un endroit où me terrer mais je ne parviens pas à le distancer. Je me réveille en sueur, une fois encore.

Dix ou quinze fois par année, le cauchemar revient me hanter. Je ne sais pas qui est l’assassin, je ne vois ni son visage, ni son corps mais je sais qu’il est là, que je suis en danger et que si je ne parviens pas à fuir, je mourrai. Soir après soir je crains de plonger dans le sommeil et je reste éveillée aussi longtemps que possible, souvent jusqu’à l’aube. Je ne sais pas qui il est ni pourquoi il me harcèle et j’ai peur qu’il revienne hanter ma nuit.

Le cauchemar est à l’image de ma vie de tous les jours. J’ai peur de tout, et j’anticipe toujours le pire. La panique fait s’affoler mon cœur, m’étourdit, m’engourdit, me fait trembler et perdre pied. J’évite les espaces publics, je suis enfermée dans l’agoraphobie et je coule dans le désespoir de la dépression. Dans ma vie quotidienne, le tueur invisible de mes nuits s’est installé en permanence et je vis sous la menace constante de la mort. J’ai cessé de le fuir. J’attends qu’il se montre. Je n’en peux plus de courir et de me terrer. Je suis épuisée de ne pas dormir, de survoler ma vie, d’avoir peur de tout. Je n’en peux simplement plus de vivre. Je vais simplifier la tâche de cet assassin sans visage en mettant moi-même fin à mes jours. Le cauchemar sera terminé.

 

 

 

1

En finir

 

Juillet 1990

Attachée sur un lit d’hôpital, incapable de bouger. J’ai la gorge en feu.

-« J’ai mal à la gorge. »

-« Oui, ne bougez pas. C’est dû au tube que nous avons utilisé pour vous faire un lavage d’estomac. Vous revenez de loin!

-« Détachez-moi. »

-« Vous vous êtes levée plus tôt et vous avez fait une chute qui aurait pu être très grave. Dormez un peu maintenant. Je reviendrai tout à l’heure. »

Qu’est-ce que je fais ici? Ah oui! Les pilules. 250 plus de l’alcool... Comment se fait-il…? Oui. Le psy qui a rappelé juste avant que je m’endorme pour de bon … lui qui ne retourne jamais les appels. Pourquoi ai-je décroché ? Pourquoi lui ai-je dit? Non je ne lui ai pas dit. Il m’a simplement demandé ce que j’avais fait et il semble que je lui aie répondu que ce n’était plus important…

Une injection. Retour d’un sommeil provoqué dans lequel il n’y a pas de cauchemar. Je dormirais ainsi pendant des années.

-« Ça va mieux. Vous en êtes sortie. Les secours sont arrivés à temps. Vous verrez que la vie peut encore être belle et vous offrir du bonheur. Nous allons vous aider. »

Pfft! À quoi bon lui répondre! Tout ce que la jeune doctoresse me dit ou pourrait me dire, je me le suis répété durant des années pour garder courage. Je sais qu’elle veut bien faire mais elle ne sait pas contre quel atroce ennemi j’ai à lutter, jour après jour, heure après heure. Elle insiste, me dit qu’elle veut vraiment savoir, qu’elle ne pourra m’aider que si je lui explique. J’essaie de résister mais je suis si fatiguée de vivre et de lutter que, de guerre lasse, je lui raconte. Je lui parle du monstre qui cherche à m’assassiner et qui ne me laisse aucun répit. Je lui parle de mes journées passées avec cet ennemi qui m’enserre, m’étouffe et me gruge. Je lui dis comment il apparait soudainement, de manière sournoise et sans avertissement, comment il m’attaque, prenant tout l’espace intérieur et aspirant l’air, me laissant sans ressource respiratoire. Je lui rapporte que certains jours, il m’habite, tel un crabe géant qui se répand dans mon ventre et mes organes, me grugeant l’intérieur et

m’arrachant des parcelles de cœur, s’étendant jusque dans ma gorge et m’empêchant de respirer. Je lui explique que, devant le danger présenté par cet assassin invisible, mon cœur s’emporte, je n’arrive plus à penser à rien d’autre, je suis prise de tremblements, d’engourdissements et souvent de nausées, que le monde extérieur me semble irréel et que je suis enfermée à l’intérieur de moi avec le crabe.

Toute l’histoire si longtemps contenue est sortie en véritable logorrhée traversée de pleurs et de sanglots et je termine en lui parlant de mon intense sentiment d’impuissance et de la sensation constante que la folie et la mort me guettent.

Elle sourit.

« Vous verrez, ce n’est pas si grave. Il s’agit d’anxiété, d’angoisse et parfois de panique, rien qu’un bon anxiolytique et des antidépresseurs ne peuvent contrôler. Nous nous en occupons. »

Quelqu’un a enfin compris l’enfer dans lequel je me débats. Quelqu’un peut enfin m’aider à en sortir.

Une pilule bleue, une rose, deux blanches et une jaune.

 

2

Le retour à la « vie »

 

Tout était donc si simple? Toute cette souffrance pouvait donc se régler si facilement…?

Enfermée dans l’aile psychiatrique d’un centre hospitalier, je suis placée dans une prison chimique avec des gardiens aux noms d’Effexor, Seropram, Lexomil, Anafranil, Rivotril ou Ativan dont la tâche est, semble-t-il, de me protéger .

-« Vous réagissez mal à la médication. Nous avons essayé plusieurs types d’antidépresseurs mais aucun n’est efficace. »

Un homme grand, posture droite et rigide, barbe grisonnante, regard condescendant. C’est le psychiatre-Dieu qui s’adresse à moi d’un ton sec et revêche qui ressemble à un reproche. La petite doctoresse du début lui a laissé la place. Je l’appelle Dieu parce qu’il me donne l’impression qu’il m’est supérieur, que c’est lui qui possède toutes les réponses, que je ne suis qu’une moins que rien face à lui. Je me sens coupable que ses médicaments ne fonctionnent pas. C’est sans doute parce que je ne suis pas une bonne personne, que je ne mérite pas de vivre et d’être heureuse. Après 6 semaines d’hospitalisation et de traitement, j’ai l’impression de m’enfoncer un peu plus tous les jours. Je finis par croire que mon désir de mourir se nourrit de leurs petites pilules parce qu’une rage profonde tournée contre moi-même est montée à la surface, haine que je sens de plus en plus présente, de plus en plus vivante. Je suis décidée à en finir définitivement.

La doctoresse m’avait redonné un peu d’espoir mais ce n’était encore qu’un faux espoir. Je ne puis compter sur personne. Je me débarrasserai moi-même de mon tueur intérieur, j’en finirai dès qu’ils me rendront un peu de liberté et cette fois, je ne me raterai pas. Personne ne me sauvera in extremis. Je finirai la tâche.

Je n’en dis rien au psychiatre-Dieu mais on dirait qu’il le sait. Je veux rentrer chez moi. Il refuse de me libérer.

- « Madame, aucune de nos approches n’a réussi à assurer efficacement votre protection mais nous ne sommes pas à bout de ressources. »

Il a en effet changé d’approche. Il est assis, penché vers moi et parle maintenant d’une voix douce et mielleuse que je ne lui ai jamais encore entendue. J’ai tellement besoin de douceur du fond de mon désespoir que je tends instinctivement l’oreille.

-« J’ai besoin de votre signature pour procéder à une sismothérapie. Nous sommes persuadés que des électrochocs vous permettront enfin de sortir de la dépression dans laquelle vous êtes enfermée. Nous voulons vraiment vous aider. Signez l’autorisation de soins.»

Il me sourit gentiment. Pour la première fois depuis que je l’ai rencontré, j’ai l’impression qu’il est humain et qu’il veut mon bien. Peut-être va-t-il ainsi parvenir à électrocuter le tueur et m’en débarrasser. Dites-moi où je dois signer !

Et choc ! Et encore choc ! Et encore ! 6, 10, 15 électrochocs ? Je ne sais pas. Je ne sais plus compter. Je ne sais d’ailleurs plus rien, même plus qui je suis. Je flotte, totalement

déconnectée de moi-même. Je ne pense plus. Je déambule comme un zombie, je suis un zombie. On m’a retiré le cerveau.

-«Vous pouvez retourner chez vous madame, vous allez mieux. Vous en êtes sortie. »

D’accord. Mieux de quoi ? Sortie de quoi ? Je ne demande pas. Je n‘ai plus de question, Je ne réfléchis plus. Le psychiatre-Dieu avait raison. Je suis tellement mélangée que je n’ai plus peur. Je suis guérie.

Je dois retourner chaque semaine me rapporter à l’autre psychiatre-Dieu que je voyais avant le séjour dans l’aile psychiatrique. C’est la condition de ma remise en liberté. Continuer la psychothérapie est essentiel, m’a-t-on dit. Ce Dieu ci est plus petit et un peu rondouillet. Il s’installe derrière son bureau, dans un fauteuil surélevé genre exécutif alors que je prends place devant lui, dans un fauteuil beaucoup plus bas. Je suis la petite, il est le grand. Il est Dieu, je ne suis qu’une pauvre petite créature humaine. Son regard n’est pas condescendant mais il me laisse sentir qu’il n’en a rien à foutre de moi et de mes états d’âme. À chaque début de visite, je ne sais par quoi commencer. Il ne me demande même pas quelle sorte de semaine j’ai passée. C’est un grand silencieux. Après 15 ou 30 minutes de verbiage, les émotions commencent à monter. Je les exprime comme je peux et de temps à autres, j’entends un « hm hm » sortir de sa bouche, preuve sans doute qu’il m’écoute ou que je suis sur la bonne voie. Bref, je raconte, il écoute, je fouille dans mes tripes, je pleure et à l’exception de quelques « hm hm », il ne dit rien sauf « on se revoit la semaine prochaine ». Le cœur à vif et la plaie grande ouverte, je dois quitter dès que mon temps est écoulé. Une demi-heure à pleurer et renifler pendant le retour à la maison. Difficile de se concentrer sur la conduite de l’automobile. Il me faut deux ou trois jours avant que l’abcès émotif que j’ai ouvert ne se referme. Et la douleur… J’apprends à vivre avec un abcès purulent et je commence à craindre l’entrevue suivante au moins deux jours avant sa date prévue. J’ai l’impression de peu à peu retomber dans le cercle vicieux de la souffrance. Après 4 mois, l’effet des électrochocs s’estompe, je reviens lentement à moi et les visites chez le psy entretiennent une douleur et une peur constante.

Le cauchemar revient lentement me hanter. Le tueur n’avait été qu’endormi. Il commence à s’éveiller de nouveau et à me visiter parfois la nuit. Je recommence à le craindre. Le premier psychiatre n’avait rien d’un Dieu et l’électrocution n’a rien réglé. La mort intérieure recommence à rôder. Je végète. Ma vie ne rime à rien. Outre pour les thérapies hebdomadaires, je ne sors pas de chez moi. J’émerge lentement du néant mais pour mieux entrer à nouveau dans la souffrance. J’aurai quarante ans dans quelques jours. Je dis depuis longtemps que ma vie changera à quarante ans – sans spécifier de quoi le changement serait fait - et le jour J se pointe mais rien n’a changé. Il n’y a toujours qu’un semblant de vie et un désir toujours présent d’y mettre fin.

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